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LES VOIES ROMAINES
Michel SAUVANT - Nissaga N°41



Rappel sur les recherches des voies romaines.
Dans nos campagnes l'apparence de ces voies n'était pas en général celle de la voie Domitia à Ambrusum-34 en photo ci-dessus. C'était plus souvent celle d'un chemin charretier sur terre battue, avec d'éventuelles rigoles sur le côté. A cause du dépôt des alluvions pendant 2 millénaires sur la partie Est du Roussillon les restes réels des voies romaines y sont à 2 ou 3 m sous terre. Dans d'autres endroits ces restes sont sous les routes, ou se confondent avec des chemins actuels, ou encore ont été défoncés pour les cultures. Il n'y a pas de budget pour rechercher des restes non spectaculaires et difficiles à localiser. Donc, en attendant qu'un projet d'infrastructure ou d'immobilier vienne donner l'occasion de fouiller le sol, les chercheurs font des hypothèses pour définir précisément le parcours d'une voie en rassemblant un réseau convainquant de " traces " sous des formes diverses : interprétations de documents médiévaux citant des voies, portions de chemins actuels, orientations de cadastres, passages de rivières, chapelles, place de limites de communes, alignements de voies et de groupes d'habitations anciennes, et …certains toponymes.


QUELQUES TOPONYMES LIÉS AUX VOIES ROMAINES .

1 - Lieux-dits Ste Eugénie de Tresmals et St Salvador de Canomals

Ces 2 lieux-dits sont l'un à Elne, l'autre à Bompas, et sont situés près du parcours hypothétique admis pour la Voie Domitia entre Salses et Collioure.
Mentions anciennes :
Tres malos (814 ou 840), Tresmalos (951 et 1064), puis Tresmales (914 et 956), Tresmals (981). Canavals (1031), Canemals et Canomals (12e siècle).

Hypothèses de signification :
Comme la modification du son o en son a est possible localement durant le Haut Moyen Age, j'ai retenu pour la partie mals de ces noms une parenté avec le mot latin moles. En effet moles a pu désigner l'ouvrage de pierres et maçonnerie qui sert à surélever une route dans un passage à gué. Faute d'avoir trouvé un mot français spécifique, je nomme cela gué sur levée maçonnée.
En général un tel ouvrage a des trous (ou buses) pour laisser passer l'eau (cf. gué actuel à Ortaffa); s'il n'en a pas, il est plus bas, l'eau passe dessus et c'est un simple aménagement du fond du cours d'eau traversé (cf. gués dans Argelès).
Tresmals s'apparente donc au latin tres moles, signifiant trois gués sur levée maçonnée.
Canomals s'apparente donc au latin cava moles signifiant gué sur levée maçonnée avec des trous.

Hypothèse de langue :
Ces noms ont été donnés entre la date de création de la voie Domitia (fin 2e siècle av. J.C.) et leurs premières mentions ci-dessus (an 814). Cela couvre l'époque de l'antiquité romaine (latin classique), et le Haut Moyen Age ( langue vernaculaire passant du latin à la langue romane).
Mais il est probable aussi que ces noms n'ont pas été donnés vers la fin de cette période, sinon il n'y aurait pas de s à canomals, puisqu'en même temps dans la langue vernaculaire le singulier moles est devenu moll.
Par ailleurs ces maçonneries datent d'une période de rénovation des voies, concernant donc les 2 gués. Cela rend la dénomination plus probable au 4e siècle ; mais on ne peut exclure une rénovation des gués entre le 4e et le 6e siècle après une inondation qui aurait concerné les deux lieux.


Compléments étymologiques :
- L'encadré ci-après en dit plus sur la famille du mot moles.


Compléments étymologiques sur le mot latin moles
         Le mot moles avait son singulier identique au pluriel. Il signifiait d'abord masse, massif de pierres, digue, levée de pierres et/ou de terres, môle ; mais il désignait aussi certaines machines de guerre lançant des pierres.
Le mot latin moles et le mot français môle se rattachent à une racine pré-indoeuropéenne MAL/MOL, qui a donné aussi des mots en grec ancien ayant trait au poids lourd et à l'effort très important, dont celui pour déplacer une lourde masse. On a la trace de ce 2e sens dans le mot français malle, mais surtout aussi dans le mot catalan maldar =s'efforcer.
         Tout se passe donc comme si le concept initial de cette racine était la grosse pierre massive, lourde.
C'est en accumulant de telles pierres qu'on fait des môles.
Du fait que le mot moles était utilisé dans les ports, beaucoup de langues d'Europe ont un mot proche signifiant môle : catalan moll, allemand mole, finnois molja, russe mol, hongrois, italien et polonais molo, portugais molhe.
Mais ces mots sont parents également d'autres mots :
- le mot français moellon (mole en ancien français ),
- le mot catalan mollo pour une marque en pierre ; il a probablement aussi désigné des gros rochers remarquables aux formes arrondies (voir Prats de Mollo) ; en Aragón il y a aussi les rochers Mallos de Riglos. Ce nom montre que la voyelle devant le ll a pu évoluer du o vers le a
- les mots latin et catalan mola signifiant meule ; en catalan c'est aussi une masse de quelque chose,
- le mot français maillet, mais aussi divers mots signifiant massue, ou marteau, dans diverses langues, dont le catalan mall =maillet, massue.
Autres toponymes apparentés
- Il faut probablement rattacher à la même racine, la syllabe mal ou male de certains noms de sommets pyrénéens, sommets massifs évoquant la forme d'une grosse pierre (Puigmal, Vignemale, Maladetta, Machimala).


- Le début tres- de Tresmals n'a pas posé de problème étymologique, puisque le nombre 3 a continué localement à se dire tres depuis les Romains.
- L'étymologie du début cano- du toponyme Canomals a été difficile à trouver ; j'ai éliminé les hypothèses d'expressions suivantes : cani moles signifiant le gué du chien // cana moles signifiant le gué blanc // cannae moles signifiant gué "les cannas" // et la possible dérive vernaculaire de cannarum moles signifiant gué des cannas // canalis moles signifiant le gué du canal // canta moles signifiant gué renommé.
J'ai retenu cava moles signifiant mot à mot la levée maçonnée creuse. Voici la raison de mon choix :
Les 3 mentions anciennes citées pour Canomals sont incohérentes entre elles, car elles ne peuvent être considérées comme la traduction d'une évolution normale entre elles.
Donc 2 d'entre elles au moins ne reflètent pas le vrai nom vernaculaire.
Dans un tel cas je regarde ce que chaque mention peut apporter comme sons pouvant faire partie du vrai nom. Ici apparaissent ponctuellement un v et un o ; par ailleurs il y a une persistance de la base Ca…mals.
Il suffit alors de retrouver le bon ordre des sons ; en effet il faut savoir que les transcripteurs de l'époque perdaient facilement cet ordre, soit involontairement, soit croyant parfois bien faire.
Sur les siècles des Wisigoths cava malos a pu devenir cavamals. Ensuite c'est une erreur d'écoute, associée à une interprétation liée à la plante cana, ou canna (poussant localement sur le bord du bras de la Têt) qu'on a pu avoir les mentions médiévales citées canovals, canomals et canemals.

Arguments justifiant des gués de la Voie Domitia à l'emplacements de ces lieux-dits :
a -Tout d'abord un document de 955 mentionne que " Tresmales est à côté du gué du Tech ". Mais rien de tel pour Canomals.
b -Pour Canomals et Tresmals les archéologues [1] font déjà depuis plusieurs années des hypothèses sur le passage de Voie Domitia en ces lieux, ou près d'eux:
c - Le trajet probable de la voie Domitia sur le parcours Salses- Ruscino- Alenya- Taxo d'Aval- Collioure semble encore présent dans des chemins rectilignes et certaines des voies anciennes appelées " Voies Charlemagne "; je ne peux détailler ici, mais une indétermination reste parfois autour des traversés de bras anciens et actuels des fleuves.
d - Un bras important de la Têt passait à Bompas actuel, appelé antérieurement Malpas ; ce bras avait un parcours repris, comme c'est souvent le cas, par un canal agricole jouxtant le site de la ferme actuelle de St Sauveur ( =St Salvador). A son emplacement la chapelle St Salvador figure encore sur le cadastre de 1814. Elle avait sa façade le long d'une voie, encore présente qui est dans une direction possible pour la voie Domitia. C'est à cet endroit que l'archéologue R.Marichal [1] a probablement vu un morceau de la maçonnerie du gué dans une excavation de 3m de profondeur à l'occasion, en 1993, de l'enfouissement d'un gazoduc. Dans son rapport il parle de probable culée de pont antique. Pour moi il s'agit très certainement de la maçonnerie du gué surélevé de Canomals.
e- Près de Ste Eugénie de Tresmals, un particulier a signalé après une inondation un reste de maçonnerie enfoui dans une rive du Tech, à -3m du niveau du sol actuel.
f- La proximité de chapelles préromanes en ces 2 lieux : celle de St-Salvador de Canomals, et celle de Ste Eugénie de Tresmals rend probable un gué et une division de la voie près de ces lieux.


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Des traces d'occupations romaines ont été trouvées par les archéologues autour d'eux.

Le Tech a apporté beaucoup de limons à cet endroit ; il a pu aussi beaucoup changer de cours dans les parages. Plus précisément à Tresmals le niveau du terrain durant l'antiquité a été identifié par l'archéologue O.Passarius [1] à 2,2m environ dans le sol. C'est pourquoi la petite chapelle Ste Eugénie (voir photo) est dans un bassin dont le fond est à 1,8 m sous le niveau des terres actuelles. O.Passarius précise que les principaux apports ont été faits en peu de temps : 80 cm vers le 15e s. et 50 cm lors des inondations de 1940.
g- Les spécialistes pensent à 4 directions probables pour des voies romaines au Sud du Tech au-delà du passage du gué.
Et ils imaginent plusieurs hypothèses pour la séparation des voies. La plus récente, celle de l'archéologue J.P.Comps, présente 3 directions se séparant dès la sortie Sud du gué sur un cours du Tech qui n'aurait pas fondamentalement changé de place.
h- La direction quasi rectiligne du chemin de Charlemagne dans Taxo et Argelès donne une hypothèse de direction de la Voie Domitia de la Côte au Sud du gué de Tresmals.
i- On sait qu'une voie romaine, autre que celle de la Côte, passait au lieu-dit Camp de la Pedre, puisque une borne romaine incomplète y a été trouvée. A cause de la découverte de cette borne et des vestiges romains à Villeclare près de Palau, J.P.Comps pense qu'une voie " rive droite " allant de Ste Eugénie de Tresmals à Fenollar passait en ces 2 lieux. Elle pourrait être aussi toute droite de Sta Coloma d'Alemanys aux Agouillous ; il y a des indices.
j- Certains anciens cours du Tech remplacés par des canaux agricoles sont identifiables sur carte et sur photo aérienne ; mais on ne sait pas si on les détecte tous, et on ne sait pas bien les dater. Cependant il existe l'hypothèse que la limite entre Elne et Taxo qui passe actuellement un peu au nord du cours du Tech, et par commodité juste à l'emplacement de la chapelle, pourrait être le témoin d'un ancien cours.

Configuration des 3 gués de Tresmals
La conséquence de toutes ces hypothèses est qu'il y a plusieurs schémas d'interprétation de l'existence de 3 gués maçonnés à côté de Tresmals.
J'élimine trois cas théoriques par les raisonnements suivants :
L'étude du reste du réseau de voies romaines montre que les romains faisaient en général des divisions de voies après les passages de gué en allant dans le sens d'un point central (ville) vers la périphérie. Ce constat d'une habitude réaliste permet d'éliminer les 2 hypothèses A et B suivantes:
A - 3 gués sur un Tech proche de l'emplacement actuel, c'est-à-dire un gué pour chacune des 3 directions parmi les 4 envisagées.
B - 1 gué sur un 1er bras du Tech et 2 gués sur un 2e bras du Tech, ceci dès la construction de la Voie Domitia.
C - Par ailleurs il est peu probable que les 3 gués recherchés soient successifs sur la voie à cause d'un Tech divisé en 3 bras. En effet 3 bras ne peuvent pas être suffisamment proches pour qu'un seul nom de lieu-dit les recouvre tous.
D - Il reste le cas d'un 1er gué sur un ancien cours du Tech, seul présent lors de la construction initiale de la voie, puis l'ajout d'un 2e et d'un 3e gué sur les 2 voies au Sud du 1er, quand un nouveau bras du Tech s'est ajouté à l'ancien.
L'hypothèse D parait la plus vraisemblable au vu du parcellaire, de la limite Nord de Taxo et du fait qu'un ancien cours et un nouveau cours ont tendance à exister ensemble tant qu'il n'y a pas intervention humaine. Voir schéma joint.
Dans cette configuration de 3 gués on peut essayer de dater la crue qui a obligé de créer le 2e et le 3e gué :



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Lorsque les Romains ont fait la voie Domitia après l'an -118, la division de la voie était au Sud d'un gué unique.
On peut présumer aussi que la construction de 3 gués surélevés date soit du moment du passage de 1 gué à 3 gués, soit d'une des périodes connues de rénovations du réseau de voies : sous Constantin ou ses fils, et sous Charlemagne.
Nous avons vu que le nom date d'avant l'époque des Francs.
La limite Nord de Taxo peut dater de l'époque des Wisigoths, époque où selon les historiens se sont définies les premières limites des paroisses. A cette époque le cours Nord existait seul et était considéré comme le cours " légitime " pour séparer les paroisses des villages qui ont précédé La Tour-Bas-Elne et Taxo. En effet s'il y avait eu 2 cours à l'arrivée des Wisigoths il est peu probable qu'il y ait eu cette limite. Il est donc possible que les trois gués aient été créés à la suite d'une inondation qui a partagé en deux le Tech au début de l'époque wisigothique.
On pourrait cependant aussi penser que les limites de paroisses ont été en fait fixées peu après le moment où l'empire romain est devenu chrétien sous Constantin.
Si à ce moment là le 2e cours du Tech et les trois gués existaient déjà, alors ils peuvent avoir été maçonnés à l'époque de la rénovation connue d'Elne et de sa région entre 320 et 350 sous les Constantiniens au 4e siècle.
Dans les 2 cas, l'assise de la chapelle actuelle plus élevée que le niveau du sol romain fait penser que l'ancienne chapelle, s'il y en a eu une, ou l'ancien monument religieux romain, s'il y en a eu un, ont été emportés lors de l'inondation qui a multiplié le Tech en deux bras.
N.B. Une mention du 14e s. parle aussi de la chapelle Sta Coloma de Tresmals. C'est en fait la chapelle appelée plus souvent Sta Coloma d'Alemanys. Ce nom n'a pas de lien avec les voies ; il me paraît une déformation de l'expression latine alnis magnis = là où il y a des grands aulnes. Elle semble aussi avoir été près de la traversée d'un bras du Tech.

Hypothèses d'autres auteurs :
J.Coromines interprête Tresmals en mal forés en se fondant sur un autre toponyme lui ressemblant ailleurs.
L.Bassède parlait pour Tresmals de trois bornes, une pour chacune des commune Elne, La Tour et Taxo. Il me semble que même si les 3 paroisses ont eu un point limite commun, l'usage n'était pas de mettre 3 bornes en un tel point.
Pour Canavals, il parlait de plantation de cannabis !

2 -Autres Tresmals confirmant mon interprétation - L'un à Trèbes (Aude), et l'autre près de Torello (Catalogne)

- En 1110 Trèbes à 6 kms à l'Est de Carcassonne s'appelle Tresmals. Mais les habitants firent comme ceux de Malpas/Bompas, ils devinrent au 13e s. des " très biens " au lieu de " très mals ". D'après le plan issu de ViaMichelin ci-dessous, il semble assez probable que les trois ponts autour de la cité ancienne aient remplacé 3 gués.
N.B. Le canal du Midi a remplacé un ancien bras de l'Aude.

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Plan de Trèbes (ex Tresmals) dans l'Aude


- A Torello les méandres de la rivière sont si nombreux qu'il est probable qu'un lieu-dit ait pu être près de 3 gués.
3- Trompettes Basses et Trompettes Hautes
Ces 2 lieux-dits sont situés sur la rive droite du Tech à Montesquieu.
Mentions anciennes : Trompeta Baixa et Trompeta Alta (16e siècle) .
Le passage au pluriel en français est …singulier.

Mon hypothèse de signification :
Barrière de gué aval et barrière de gué amont.
Le nom catalan trompeta est une probablement évolution d'une expression en bas latin vernaculaire via trampeta* = voie équipée d'une barrière de gué.
J'ai reconstitué le mot trampeta* comme un adjectif participial fait à partir du mot roman, puis catalan, trampa.


Compléments étymologiques

Le mot trampa n'est pas d'origine latine. Je pense qu'il est venu par les Wisigoths qui avaient le verbe ana-trimpan (=marcher sur). Les dictionnaires français donnent le francique pour origine de notre mot trappe ; ce qui n'est pas incompatible.
Il se rattache à une racine indoeuropéenne TRAP/ TREP dont le concept principal un mouvement rapide des pieds oscillant entre 2 états. Dans certains cas la voyelle de la racine s'est nasalisée ; d'où le m devant le p dans trampa
.
Cette racine est représentée :
- en latin dans les mots tremere = trembler et trepidare = s'agiter et leurs dérivés ,
- en français dans les mots transe, trappe, trembler, tremplin, trépidation, trépigner, et probablement tromper, puisqu'une trappe à l'origine était un piège trompant celui qui y tombait.
- en anglais par les mots tramp = piétiner,
- en allemand par les mots trampeln= piétiner Treppe = escalier, trippeln = trottiner.
- en italien par trampolino = tremplin.

Une des significations anciennes du mot trampa était barrière de gué pour un torrent qui peut avoir des crues.
Le mot trampa figure toujours dans les dictionnaires de catalan avec des sens divers, dont le principal est la trappe.

Arguments en faveur du gué de Nidolères:
a- Au moins un acte, daté de 1271, mentionne un gué tout près de Nidolères. Or le village de Nidolères est sur la rive gauche non loin à l'Est du niveau de Trompettes basses.
b- De part et d'autre de Nidolères, et sur plusieurs kilomètres, le Tech coule entre deux rives escarpées et hautes de 12 à 15 m en moyenne ; mais le fond du lit du Tech s'est probablement abaissé de 5 à 10 m depuis l'antiquité (voir le dernier encadré )
Malgré ce dénivelé au moins 5 chemins en pente et praticables pour un char chargé et attelé descendent encore de nos jours à cet endroit dans le lit du Tech : l'un est en rive gauche 500m à l'Ouest de Nidolères, les 4 autres en rive droite : deux aux deux lieux-dits Trompettes, un en face de Nidolères et un au niveau du barrage 300 m en aval.
c- Au moins 2 chapelles sur la rive gauche sont attestées au Moyen Age. L'une disparue (stèle) et dédiée à Ste Lucie, était près de l'accès en rive gauche sous le pont du TGV. L'autre, en ruines, dédiée à St Estève était à 800m en aval de Nidolères et signe un 2e accès au gué par la rive gauche.
Lorsqu'on rentrait par cet accès de St Estève pour sortir à celui des Trompettes Hautes, la distance à parcourir dans le lit mineur était d'environ 1 mille (=1481,5m). Le lit était probablement déjà assez large pour loger la voie à côté de la rivière à son niveau bas. Il y a d'ailleurs là actuellement une voie large d'environ 7 m, mais on ne peut pas y rechercher trace de la voie romaine puisque à cet endroit le niveau du Tech s'est probablement abaissé depuis l'antiquité.
d - L'archéologue Jean FREIXE a fait l'hypothèse en 1901 du passage à gué de la voie Domitia, d'Elne à Fenollar près de la chapelle St Estève de Nidolères. J.FREIXE se fondait sur quatre des indices classiques cités dans l'encadré en début du présent article.
En plus de St Estève il cite la chapelle ruinée St Martin de la Rive vers la limite entre Elne et Ortaffa, et la chapelle Sainte Marie Madeleine de Fonclara.
e- A ces indices j'ajoute les 7 autres indices suivants :
--- Il y a un alignement parfait d'au moins 6 sites remarquables entre le site de Palol d'Amunt et l'entrée Est du Boulou avant la Vallmanya. Cet alignement est aussi celui des voies principales actuelles près des églises d'Ortaffa, de Brouilla, de Fonclara.
--- Il y a le long de cette droite beaucoup de points où les archéologues ont enregistré des restes romains.
--- Il y a deux toponymes (Correc de Milieri et lieu-dit les Milières) qui peuvent attester de la 4e borne milliaire à partir d'Elne, disparue probablement lors d'une ouverture brutale du méandre entre Brouilla et Ortaffa.
--- La distance d'Elne à Fenollar par cette voie droite de part et d'autre du gué est de 12 milles en conformité avec le témoignage écrit antique Itinéraire d'Antonin. Au contraire la voie par Ste Eugenie de Tresmals et la voie rive droite, qui existait aussi, fait un mille de plus, même dans une hypothèse réaliste par Cabannes d'une voie en rive droite.
--- un document ancien précise la communauté de parcours entre une voie Vallespiriana et la voie Domitia, ce qui correspondrait à la partie de voie Domitia entre le gué de Nidolères et Fenollar. Jusqu'à présent le bout Est de ce parcours commun était considéré être soit à St-Genis, soit aux Agouillous.
--- d'autres éléments de voies romaines que j'ai découvert en interprétant un autre toponyme de lieu-dit (qui fera probablement l'objet d'une publication d'ici fin 2008) attestent d'un gué romain à Nidolères dès la construction de la Voie Domitia et remontant en rive droite en face de Nidolères où se serait trouvé un carrefour important.
--- J'ajoute que je pense que Nidolères était probablement à l'extrémité d'une voie droite de 15 km, définissable aujourd'hui par le pied des collines à l'Ouest de Thuir, et les centres de Terrats, Passa, et Tresserre. En effet des chemins semblent la mémoriser et le parcellaire entre ces villages lui est parallèle. Je pense qu'elle a été tracée par les Romains pour être la " voie du transport du fer du Conflent et des Aspres" allant vers le port Collioure, via le gué de Nidolères, sans traverser Illiberis.

Hypothèses d'autres auteurs :
a - Pour l'étymologie du mot Trompeta, L.Bassède évoque des arbustes à fleur en forme de trompette, puis il choisit finalement la trace de l'endroit où étaient installées les hommes jouant de la trompette pour régler l'une des batailles historiques du Boulou antérieure à la première mention au 16e siècle. A noter qu'il ne peut s'agir de celle de 1794 comme je l'ai lu dans un document de qualité.
Cette interprétation est beaucoup moins étayée que mon interprétation.
b- Les archéologues actuels [1] ayant le plus recherché le franchissement du Tech par la Voie Domitia considèrent comme meilleure hypothèse un franchissement au Sud d'Elne (voir toponyme Tresmals ci-dessus) suivi d'un parcours en rive droite passant par le lieu de découverte d'une borne milliaire entre Taxo d'Amont et Palau del Vidre, et passant par Villeclare où un site romain est repéré.
Par ailleurs ils considèrent aussi qu'une voie romaine tardive, mais directe entre Ruscino et Fenollar, franchissait le Tech au pied du village du Boulou.
L'argument des 12 milles élimine la solution " Voie Domitia en rive droite "; cependant cet argument n'est pas déterminant en faveur du gué de Nidolères.
En effet d'autres sites de gués réalistes, y compris celui du Boulou permettraient de respecter la distance de 12 milles.
Dans mon argumentation contre ces hypothèses, le principal argument est l'hypothèse de convergence d'au moins 2 voies bien droites en rive gauche, dont l'une est inspirée de celle de J.Freixe, et dont l'autre inédite sera argumentée.
Un argument fort, non mis en valeur ci-dessus, est l'utilisation d'un seul gué pour les trafics importants Elne-Panissars et transport du fer depuis Conflent, Vallespir et Aspres convergeant sur Nidolères pour aller vers Collioure en évitant Elne et les terres inondables.
Le fait que les voies citées convergeant vers le gué n'aient pas vraiment été détectées dans des fouilles peut s'expliquer sans mettre en cause les travaux des archéologues.

Conclusion sur la voie Domitia Elne-Fenollar
A l'hypothèse " Voie Domitia principale située en rive droite du Tech ", j'oppose l'hypothèse de Voie Domitia suivante :
- En rive gauche une voie toute droite de Palol d'Amont jusqu'à un point à 200m de la chapelle St Estève de Nidolères. A ce point la voie se divisait en deux ; une voie continuait toute droite en rive gauche vers le carrefour de Gaulle/République au Boulou, puis vers le Vallespir, l'autre, la voie Domitia, traversait le gué. Elle se retrouvait donc en rive droite. Là, en fin de la remontée de Trompettes Hautes, depuis un point près du Mas Rouer la voie Domitia allait probablement tout droit vers Fenollar puis Maureillas.
J'en veux pour preuves une trace d'ancien chemin jamais fouillé au lieu-dit El Pilar, ainsi que la pierre taillée en forme de pila de 1,5m ayant donné son nom au lieu-dit et qui été retrouvé enterré près de vestiges romains. Il se trouve en effet que ce pila est à 10 milles (pile !) d'Elne par l'hypothèse de Voie Domitia que je viens de décrire.
- En même temps j'amorce la présentation d'une hypothèse de voie du fer vers Collioure traversant le Tech au même endroit. Rien n'a jamais été dit sur cette hypothèse.
J'ajoute qu'il apparaît que des méandres du Tech, formés postérieurement à la fin de l'Empire romain (voir encadré sur le Tech) ont détruit la rectitude de la voie Domitia entre Elne et Fenollar; 3 ou 4 méandres pour la partie en rive gauche, 2 pour la partie en rive droite.
Quand au gué de Nidolères, il n'a pas été remplacé un jour par celui du Boulou, seulement parce que les Francs restructuraient le réseau de voies " longue distance " autour de Perpignan (voir dernier encadré au sujet du Tech).


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Le cours du Tech à travers l'Histoire.

Plusieurs indices rendent probable le fait que dans l'Antiquité, le Tech franchissait une sorte de verrou sur lequel le village du Boulou s'est installé. En amont du verrou il y avait un lac dont la surface pouvait être à 88 m d'altitude. Les champs de St Jean Pla de Corts viendraient des alluvions accumulés derrière le verrou. La voie romaine de la rive gauche longeait le lac en un arrondi ressemblant à celui du chemin de fer. Le Tech franchissait ce verrou en un point où il devait y avoir une cascade, étroite et rapide. Un ancien franchissement du verrou par le Tech a dû se faire par la fin du cours actuel de la Vallmanya; puis lors d'une inondation, il s'est fait au point du lit actuel ; ce qui explique le fait qu'ensuite le Tech se dirige vers le Nord au pied Est du Boulou. Après la cascade le fond du Tech devait être entre 75 et 80m d'altitude ; il est actuellement à environ 70 m.
Par ailleurs, selon les recherches faites à la chapelle St Eugénie de Tresmals au Sud d'Elne, on sait que le sol antique était 2,3 m plus bas que le sol actuel. Donc il est probable que vers la mer le lit mineur du Tech s'est aussi haussé parallèlement de 2 à 3 m, puisqu'il a changé son cours sur ses alluvions au cours de l'Histoire.
En conséquence sur la distance de 30 kms environ entre le Boulou et Elne le dénivellé du Tech a perdu en 2500 ans environ 7 à 13 m. Les calculs montrent qu'au niveau de Nidolères le niveau du lit du Tech qui est actuellement à 52m a pu être entre 58 et 63 m, quand les Romains sont arrivés. Nidolères étant à 68m les accès du gué descendaient probablement de 5 à 10 m au lieu des 15 actuels. Et le lit en creux du Tech était moins large.
Ce changement de la pente du Tech et la force des inondations aux temps où les pentes du Vallespir étaient déboisées pour faire fonctionner les forges, ainsi que le fait que le Tech soit alors très chargé de limons expliquent que le Tech aient fait de nombreux méandres entre le Boulou et Elne depuis l'époque des Romains. Certains anciens méandres sont pleins de jardins à cause des limons fertiles et souvent nommés Salita. Ce terme est de la famille des mots sauter et saltar (cat.) ; il vient du dénivelé brutal (à sauter) entre la rive haute et le sol dans l'ancien méandre.
La configuration du verrou du Tech pourrait expliquer qu'il n'y ait pas eu de gué possible au Boulou entre lac et cascade au temps des Romains et des Wisigoths. Le verrou a du être creusé de tous côtés lors d'inondations pendant le Haut Moyen Age, ce qui a permis aux Francs de remplacer le gué de Nidolères par celui du Boulou. Ce nouveau gué n'était donc pas simplement dû au fait que Perpignan devenait la ville principale.

Ces hypothèses de verrou et de pente, avec leurs conséquences, restent à attester par des spécialistes. Il serait intéressant qu'ils datent les méandres qui ont détruit en 6 endroits la voie Domitia dont j'ai esquissé ici le parcours initial Illiberis-Ad centuriones (Elne-Fenollar) le plus probable. Ces méandres, et la destruction probablement pendant le temps des Wisigoths de l'accès au gué de Nidolères via la chapelle de St Estève (celle-ci pourrait en conséquence dater du 4e ou 5e siècle), ont provoqué la création d'une autre voie plus pérenne, mais plus tortueuse en rive gauche entre Elne et le Boulou. Cette voie est encore visible sur le cadastre de Napoléon. Cette voie s'est rapprochée de Banyuls probablement à la construction du chemin de fer.

N.B. Un certain nombre de gués du Tech n'ont pas été rétablis après la crue de 1940.




* *
*
Mon étude complète tend à montrer que pour un même réseau de voies convergeant aux alentours du gué, les Romains avaient des accès plus en aval entre le village de Nidolères et le lieu de la chapelle St Estève, que les Wisigoths qui passaient entre les Trompettes. Je finis par un point qui m'amuse :
le gué direct des Wisigoths, entre Ste Lucie et Trompettes Basses est à l'endroit exact où vient d'être inauguré un pont du futur TGV.

4- Palol d'Amont et Palol d'aval
Ces 2 lieux-dits sont à l'Ouest et à l'Est d'Elne là où les voies romaines rentraient dans Illiberis/Castrum Helenae.
Mentions anciennes : Palatiolo (9e s.) évoquant une signification " le petit palais "
Hypothèse de signification proposée: En latin Palos locatio signifiait Lieu où il y avait des pieux à louer (pour attacher les chevaux et attelages).
Compléments étymologiques : Le mot latin palus a donné les mots français et catalan pal.
Remarque : La station romaine Ad Stabulum, dont le nom signifiait " lieu des étables " citée par des auteurs latins pouvait être selon les indications de distances près d'Illiberis/Elne sur la voie Domitia. Sa signification similaire à celle du nom de Palol montre une possible identité de Ad Stabulum avec l'un de ces 2 lieux Palol. C'est là qu'elle est située par plusieurs archéologues, même si aucun reste probant n'a été retrouvé.
Dans ce cas je pense que Ad Stabulum était plutôt du côté de Palol d'Aval (aujourd'hui entrée Ouest de Latour-Bas-Elne) ou à côté, car c'est le seul côté d'Elne où il y avait un village au 4e siècle ; je me réfère là à mon étude du Code de Stevus : à l'endroit de Latour-Bas-Elne il y avait un village résultat de la " prospérité " probable de Ad Stabulum ; en effet j'ai reconstitué qu'il avait changé de nom vers l'an 340 pour devenir Adligatus, lui-même déformé en Aziliago attesté au 10e s.

Hypothèses d'autres auteurs :
D'autres interprètent à la lettre Palatiolo en " Petit palais ". Parmi eux se distingue Jordi Rebull, professeur à Barcelone. Il a publié en 2007 une hypothèse concernant une trentaine de lieux-dits qui portaient vers l'an mille un nom proche de Palacio, Palaciolo ou de Palazol.
Il considère que ce sont des lieux où ont été créés par les Andalous (ceux que nous appelons " sarrazins ") des sortes de " petit palais " probablement pour un représentant territorial du pouvoir en place " ; ils sont près des grandes voies ; quelques-uns sont sur les voies d'entrée de villes.
Cette hypothèse doit rester candidate.

Michel SAUVANT (ACG 838)

[1] Pour que mes interprétations ne soient pas incompatibles avec les études des spécialistes des voies romaines, j'ai lu sur ce thème presque tout ce que les archéologues actuels G.Castellvi, J.P.Comps, J.Kotarba, O.Passarius, A.Pezin, ont publié, ainsi que l'essentiel des écrits des archéologues J.Freixe, R.Grau, R.Marichal. Il m'est impossible de donner toutes les références dans ce cadre. Mais la Carte Archéologique de la Gaule pour les P.O., ouvrage qui vient de paraître, résume et signe bien leurs hypothèses.


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